Réexamen de la Convention pour la
Protection des biens culturels en cas de conflit armé

(Convention de La Haye de 1954)

Patrick  J.  Boylan

UNESCO – document nº CLT – 93 / ws / 12 – version en français

AVANT – PROPOS

Je suis né juste deux semaines avant le début de la seconde guerre mondiale à Hull, ce port anglais du Yorkshire, qui allait être la ville du  Royaume-Uni exposé aux bombardements les plus soutenus et les plus destructeurs (1),   Mes premiers souvenirs d’enfance s’inscrivent sur fond de guerre:  la destruction de notre maison familiale alors que je n’avais que 18 mois, l’unique mais claire image de mes grands-parents paternels moins de trois mois avant qu’ils ne fussent tués, avec une soixantaine de voisins, dans un abri collectif situé à tout juste 200 m de la principale voie ferrée desservant les docks du troisième port du pays.   Cependant, même les pires moments de cette expérience ne m’avaient pas préparé au spectacle des champs de mines que j’allais découvrir à Rotterdam et à Cologne en me rendant pour le première fois dans ces villes au début des années 50.

Jeune écolier, en entendant mes parents déplorer la destruction de plus de la moitié du remarquable réseau de musées de Hull, dont la création, sur une période de près de 40 ans, était due au génie et aux efforts acharnés de  Thomas Sheppard,  directeur-fondateur du Service des musées de la ville,  j’avais déjà pris conscience du fait que la guerre  détruit   aussi bien la culture que la famille, les voisins, les inconnus, les maisons et les lieux de travail.   En 1964,  j’obtins mon premier emploi dans ce même service des musées qui, à cette date encore, était extrêmement réduit par rapport à ce qu’il avait été en 1940.   On m’y confia plus particulièrement la tâche d’aider à créer un nouveau   musée central, destiné à remplacer au moins en partie celui qui avait été  détruit entre 1940 et 1944.   Malheureusement, les dommages de guerre obtenus étaient insignifiants et, malgré tous les efforts du Conseil municipal, le projet dut finalement être abandonné lors de la crise du début des années 70.

Cependant, les quatre années que je passai au Service des musées de Hull me permirent d’observer de près les effets qu’avait eus la guerre sur des collections d’importance internationale.  Les catalogues et inventaires des collections de tous les musées sauf deux avaient eux aussi disparu dans l’incendie provoqué par le bombardement du Musée Central de l’été 1943.   Aussi, la tâche qui m’incombait  - (entre 1.-  87.000 édifices sur les 93.000 que comptait la ville furent détruits ou endommagés, fait resté presque  totalement inconnu au dehors, la censure du temps de guerre ayant interdit de citer le nom de la ville  et  ayant parlé seulement de  “raids aériens sur une ville de la côte  nord-est”.

autres  attributions) – de reconstituer, à des fins scientifiques, des listes de pièces types des collections  détruites  ou  autres  pièces citées dans des publications,  m’obligeait-elle à passer au peigne fin  des milliers d’articles et d’ouvrages scientifiques  traitant de domaines dont on savait qu’ils étaient représentés  dans les collections.   Il  fallut  procéder de même pour tenter d’identifier les quelques centaines de pièces qui avaient été sauvées  des  flammes  par  les  pompiers  et  le  personnel  du  musée  lors de la totale destruction du Musée  central ou pendant les jours qui suivirent,  car  presque toutes les étiquettes avaient été  détruites par l’incendie ou  par l’eau utilisée pour l’éteindre,  et  certains objets  étaient recouverts d’une gangue  épaisse  formée par le plomb fondu qui avait coulé de la toiture en feu du musée.

Mon premier poste de directeur des musées et des arts  m’amena à  Exeter,  l’ancienne capitale romaine de la péninsule du sud-ouest,  où je restai de 1968 à 1972,   Là aussi, les blessures de la guerre étaient encore à vif,  la ville ayant été en mai 1942  victime du premier des fameux “Raids Baedeker” – (qui allait être suivi de deux autres en l’espace de trois semaines)-.   Ces attaques aériennes destructrices concentrées sur le secteur des cathédrales de certaines des principales villes historiques  (et sans défense)  de l’Angleterre,  avaient été expressément  ordonnées   par Hitler  comme représailles après la tempête de feu déclenchée  à  titre  expérimental  par les Britanniques  contre la ville historique de  Lubeck  dans le nord  de l’Allemagne,  pour  autant que les Britanniques avaient manifestement violé l’engagement  mutuel pris publiquement par les belligérants de renoncer à attaquer les centres historiques non défendus et les populations civiles  sauf si l’autre camp violait l’engagement  premier.

Je n’oublerai pas non plus un autre exemple des effets de la guerre auquel j’ai été confronté plus récemment, en visitant en 1977 le magnifique palais d’été de Pierre Le Grand sur la mer Baltique, près de Saint-Pétersbourg, que l’armée allemande en retraite avait délibérément fait sauter  avant de lever le siège de Leningrad  et  dont seuls deux murs  extérieurs étaient restés en partie debout, mais qui, plus de 30 ans durant, allait être restauré avec compétence et amour.   Et les mots me manquent toujours pour dire ce que j’ai ressenti lorsque je me suis rendu pour la première fois dans la grande capitale saxonne de Dresde, qui était restée pratiquement intacte jusqu’à février 1945,  date à laquelle, de manière véritablement incompréhensible, elle fut soumise à des bombardements aériens pendant 36 heures presque sans discontinuer, alors qu’une semaine plus tard à peine l’Armée rouge entrait dans la ville et qu’on était à moins de trois mois de la fin de la guerre en Europe.

Les conflits armés, guerres internationales de type classique, mais aussi – et  de plus en plus -  conflits internes intercommunautaires, ont été et demeurent l’une des principales causes de destruction du patrimoine culturel des peuples vivant dans les zones ravagées par les combats.   On ne saurait, cependant, définir la culture et le patrimoine de l’humanité en termes étroitement nationalistes, religieux, linguistiques ou ethniques.  Membres d’une même espèce  ayant  une  ascendance génétique  commune,  “Nous les  peuples des Nations  Unies”, - (pour reprendre les mots sur lesquels s’ouvre la Charte des Nations Unies – et le slogan adopté pour la prochaine célébration du cinquantième anniversaire de l’ONU  en  1995) -  partageons une culture et un patrimoine communs, et toute perte que subit le patrimoine culturel, matériel ou spirituel d’un peuple est une perte pour l’ensemble de l’humanité.

Cette perte n’affecte pas seulement le peuple ou la communauté directement privé d’un témoignage de sa propre  culture,  passée  et  présente :  ses conséquences ne sont pas moins graves,  en définitive, pour    ceux qui l’ont provoquée  soit en commettant délibérément  des  actes  inspirés par la haine,  soit par ignorance ou négligence,  et  qu’il  s’agisse  de  dommages  ou  de  destructions  infligés  à  des  édifices historiques, des monuments, des sites, des biens culturels mobiliers ou des institutions de recherche ou d’enseignement les concernant.

Les théologiens ou les philosophes ont beau  vouloir  apporter la preuve qu’il  existe des “guerres  justes”,  il  est  évident qu’un  conflit  armé  n’est  jamais  une  bonne  chose.  Même si selon la cynique définition de Clausewitz,  la  guerre n’est que la continuation de la diplomatie par d’autres moyens,  toute  guerre est  signe d’échec.   Inévitablement, lors d’un conflit armé, on se  préoccupe  avant  tout  (à juste raison)  du sort des personnes, en particulier des non-combattants  innocents tels que les enfants, les femmes et les personnes âgées.   La guerre a,  au cours des siècles,  et  même des millénaires passés,  causé des pertes immenses  et  irréparables, et,  sans tomber dans la sophistique banale et méprisable du vieux débat sur le point de savoir s’il vaut mieux , en cas de catastrophe, sauver la vie d’un enfant que le processus de reproduction humaine peut remplacer  ou  le  chef-d’œuvre de Rembrandt que rien ne pourra  jamais  remplacer,  on peut  estimer qu’il  n’est pas  déraisonnable que la communauté  mondiale  s’efforce, même dans les circonstances les plus critiques de la guerre,  de  protéger son patrimoine culturel en vue de le transmettre aux générations futures.   D’ailleurs,  la nécessité de réduire au minimum les effets de la guerre sur ce  patrimoine, tant spirituel que matériel, est reconnue  depuis plus d’un siècle par le droit international humanitaire, qui ne cesse de se  développer.

Il y a trente-neuf ans, des gouvernements représentant un grand nombre des peuples du monde, réunis à La Haye (Pays-Bas)  pour faire le bilan des succès et des échecs de la protection culturelle au cours de la seconde guerre mondiale  et  d’autres  conflits  armés  plus  récents,  ont  décidé de se doter d’un nouveau système mondial pour la protection du patrimoine matériel de l’humanité en temps de guerre et d’autre conflit armé,  à savoir  la  Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, La Haye, 1954. A l’approche du quarantième anniversaire de cette initiative, il semble particulièrement opportun  d’ouvrir un  large  débat sur l’avenir et l’application  future de ce traité  international  de  première  importance.

Patrick  J.  Boylan

Londres,  30  avril, 1993

 

TABLE  DES  MATIERES

Avant-Propos   ---   page 1

Résumé et recommandations   ---   page 5

Chapitre 1.-  Introduction   ---page 19

Chapitre 2.-  Evolution de la notion de protection culturelle en période de

conflit armé ------------------------------------------------------------------------------ page 23

Chapitre 3.-  La définition des biens culurels  dans la Convention de 1954   --------- page 49

Chapitre 4.-  Les notions de protection, de sauvegarde et de respect des biens

culturels dans la Convention de 1954 ------------------------------------------ page  53

Chapitre 5.-  Dispositions prises en temps de paix en vue de l’application de

la Convention de 1954. -------------------------------------------------------------- page  61

Chapitre 6.-  La notion de protection soéciale et son application ainsi que le

registre internacional  y  afférant-------------------------------------------------- page  75

Chapitre 7.-  Application pratique de la Convention de 1954 : signe officiel,

champ d’application  et rôle des puissances protectrices, de

l’UNESCO et des commissaires généraux.------------------------------------ page  83

Chapitre 8.-  Rapports périodiques des hautes parties contractantes -----------------  page  89

Chapitre 9.-  Exécution de la Convention  et  sanctions ------------------------------------  page  91

Chapitre 10.- Les biens mobiliers en période de conflit armé : le protocole  à la

Convention de la Haye de 1954 et la Convention de

l’UNESCO de  1970------------------------------------------------------------------- page  101

Chapitre 11.. Adoption par les Etats de la Convention et du protocolo de 1954 --- page  105

Chapitre 12.- La Convention sur le patrimoine mundial et la Liste du

Patrimoine  mundial  ……………………………………………………….. page  111

Chapitre 13.- Conflits non internationaux : conflits nationaux, régionaux,

ethniques et religieux ------------------------------------------- page  117

Chapitre 14.- Le rôle de l’UNESCO ---------------------------------------------  page  131

Chapitre 15.- Le rôle de l’Organisation  des  Nations  Unies ----------  page  137

Chapitre 16.- Le rôle des Etats : Hautes parties contractantes

et autres Etats ----------------------------------------------------- page  141

Chapitre 17.- Le röle des organisations non gouvernementales ----- page  145

Chapitre 18,- Futurs amendements possibles à la Convention

de 1954 ---------------------------------------------------------------  page  147

Appendices

Appendice VI : Comparaison des définitions de la notion de bien culturel

figurant dans différents instruments internationaux ----------------page  151

Appendice VII : Rapports périodiques des hautes parties contractantes ----------page  161

Appendice  X : Projet du comité consultatif intergouvernemental sur la

protection des biens culturels en cas de conflit armé : recommandations

succinctes concernant sa composition et son rôle ------------------------------- page  163

Remerciements ------ page 165 ----- Bibliographie  ----- page 171

Les Appendices I,II,III,IV,V,VIII,IX,XI,XII ont été publiés en anglais , dans un autre document

REVIEW OF THE CONVENTION FOR THE PROTECTION OF CULTURAL PROPERTY IN THE EVENT OF ARMED CONFLICT – The Hague Conention of 1954 - Patrick J.Boylan 1993

CHAPITRE   17

LE  RÔLE  DES  ORGANISATIONS  NON  GOUVERNEMENTALES

********************

17.1 --- Les organisations non gouvernementales peuvent également beaucoup contribuer à  encourager  tant la compréhension que l’acceptation de règles de bonne conduite ( et particulièrement, en l’occurrence, l’adhésion à la Convention et au Protocole de La Haye de 1954). De même, elles ont un rôle vital à jouer en matière d’élaboration de normes professionnelles  appropriées pour les mesures concrètes de protection des biens culturels immeubles comme des collections.   Leur statut non gouvernemental peut aussi leur conférer un très net avantage par rapport aux organisations gouvernementales et intergouvernementales, chaque fois que de graves problèmes politiques interdisent l’intervention concrète d’organismes tels que l’  UNESCO.  Le cas le plus évident est celui des territoires placés sous contrôle d’un régime déclaré illégal par la communauté internationals  s’exprimant par le biais de l’ Organisation des Nations Unies   (problème qui se pose depuis près de vingt ans dans la partie nord de Chypre, en ce qui concerne l’application pratique de la Convention et du Protocole de La Haye et  d’instruments de l’UNESCO  tels que la Convention de 1970 sur les biens culturels mobiliers et celle de  1972 sur le patrimoine mondial, pour ne citer qu’un seul exemple).

17.2 --- Les organisations non gouvernementales compétentes  s’intéressent  d’ailleurs  beaucoup  actuellement  aux  moyens  d’améliorer le caractère effectif et l’application de la Convention de 1954, comme en témoignent  par exemple les diverses initiatives prises par le Conseil international des monuments et des sites  (ICOMOS)  pour explorer á la fois les posibilités  de meilleure  intégration de la planification et la prèparation  à tous les  types  de  catastrophes,  y  compris la guerre,  ainsi  que  la  création  éventuelle  d’une organisation  internacionale  non  gouvernementale  du  type  “Blue Shield”  pour les biens culturels,  en  s’inspìrant  directement de l’exemple de la Croix-Rouge dans d’autres domaines de l’aide humanitaire (1).  Le Conseil international des musées  (ICOM)  est également  actif  à cet égard dans le cadre de deux groupes de travail comportant une représentation mutuelle sur la préparation  aux  catastrophes  et  l’application  de la  Convention de la Haye,  respectivement.

17.3 --- Toutes les organisations non gouvernementales, et en particulier  les  ONG  internationales ayant des relations  avec l’ UNESCO  dont l’activité à trait au patrimoine cultural tangible,  ainsi que les organisations régionales compétentes devraient avoir ---

(1) Communication du Directeur général de l’  ICOMOS,  M. Leo Van  Nispen, et minutes d’une reunion sur la protection culturel dans des circonstances exceptionnelles  organisée par l’ ICOMOS  à Paris, les 8 et 9 octobre 1992.  Il existe déjà une organisation appelée Patrimoine sans frontières,  qui a été créée conformément à la loi fançaise régissant les organisations  à  but  non  lucratif  sur le modèle  très performant  de  Médecins  sans  frontiéres pour  étudier les possibilités de mettre en `place  des programmes et de lancer des campagnes d’aide concrète   pour tous les types de catastrophe  internationale.  La Fondation   privée  ARCH  étudie actuellement des interventions dans ce domaine et participe  déjà  activement à la mise en oeuvre de mesures d’urgence destinées à protéger les monuments et collections endommagés  par la guerre dans l’ ex-Yougoslavie.

devraient    avoir    consciente   du  rôle  important  qu’elles  peuvent  jouer  en  mettant  au  point,  dans  leurs  domaines  respectifs,  des  directives  pratiques  et  des  procédures  de  formation  concernant la  protection  des monuments, des collections, etc.,  face  à  un  risque  de  catastrophe  naturelle,  de  désastre  civil  ou  de  conflit  armé.   Il  serait  bon  qu’elles  collaborent  ètroitement  avec  l’ UNESCO  pour metre  au  point et  promouvoir  activement,  au  niveau  des  spécialistes,  les  mesures  préconisées  dans  les  recommandations  B.2  à  B.7  ci-dessus.

17.4 --- Les organisations  non  gouvernementales  internationales,  régionales  et  nationales  devraient,  en  liaison avec les commissions  nationales  pour  l’UNESCO,  s’employer  à  faire  connaître  et  accepter  la  Convention et  le  Protocolo  de  1954 par  leurs  membres  et  par  leurs  gouvernements,  en  les  engageant  à  adopter  et  mettre  activement en application  les  dispositions de ces instruments,  en  particulier  dans  les  pays  qui  n’ont  pas  encore  adhéré  à la Convention  et / ou n`ont pas  encore pris  les  mesures  législatives  et  administratives  nécessires  à  sa  mise  en  oeuvre  effective.

17.5 ---  Les  organisations  non  gouvernementales  sont  à  même de jouer un rôle  très  important  en  fournissant  une  aide  directe, sous forme de services scientifiques  et  techniques  ainsi que  d’équipement  et  de  matériel  spécialisés  de protection  et  de  conservation  conçus  pour les situations d’urgence,  et  en  facilitant  l’ évacuation  temporaire  des biens  culturels  mobiliers  importants  en  période de conflit  armé  ou  de  menace  de  conflit  armé.   Le rôle des  organisations bénévoles  pourrait  être  particulièrement  déterminant  dans les cas  où  les  organisations  internationales  et  gouvernementales  sont  dans  l’incapacité  d’offrir  une  telle  aide  parce  que  celle-ci suscite  des  conséquences politiques  (inévitables),  par  exemple quand un pays se  trouve  de  facto dirigé  par  un  gouvernement  ou  une  administration  dont  la  légitimité  n’est  pas  reconnue  par  l’Organisation  des  Nations  Unies  ou  d’autres  organisations  internationales.